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 à l'oeuvre

La peinture attend dans un long et patient travail de recouvrement. Parfois cinq à six années sont nécessaires pour obtenir les séchages successifs de pellicules de peinture. Les plis, les accidents de matière, les gestes de soulèvement et de dépose de la surface peinte se matérialisent pour révéler le temps propre à la peinture.

Les supports peuvent être d'anciennes toiles découpées, des cartons et plus récemment des planches qui offrent une surface dure, résistante au travail. Joël Frémiot a laissé les grandes toiles libres, les grands papiers pour de petits formats. Aboutissement de son travail sur le carré, le triangle, les diagonales ou tout simplement persévérance. Les formes élaborées ont leur origine dans les techniques créatrices elles-mêmes, le contenu et les moyens se fondant.

Joël Frémiot fixe des ébauches sur la peinture, construit l'espace, le tracé ne déborde pas, il s'arrête toujours avant le bord. Ce bord lui-même peut devenir bordure après adjonction de matière, parfois même découpée et collée, ou gravée, empâtée. Aucune fuite possible, aucun ailleurs, et pour déjouer l'illusionnisme de la profondeur il use d'autres moyens : traits gravés, verticales, diagonales devenus sillons, composent cet autre état qui évite le leurre. Il retraverse l'analyse de l'espace de la peinture faite par les peintres les plus intellectuels.

Sur la table, à portée de main, le format carré comme un face à face, reçoit les derniers gestes dépouillés et le plus directement possible. La construction tombe, s'effondre comme un "échec ". Puis une autre peinture suit dans la série. L'une est accrochée au mur pour mieux la discerner et reprendre l'activité avec une autre pendant qu'une pile s'est constituée sur l'étagère. Les papiers, les col-lages, l'huile, le vernis, la laque, les pinceaux ou le tube, les crayons ; matériaux et ustensiles sont en attente pour opérer le lent grattage des sédiments déposés tout au long de l'histoire de la peinture. Un premier état de la peinture remonterait à travers les différentes couches et permettrait ainsi à la pensée de se déplacer de la surface vers la profondeur puis de revenir. Joël Frémiot reprend son procédé jusqu'à la reconnaissance de la réalité de peindre. Par des biffures, des ratages ou collages, dépôts de couleurs : il refuse le formalisme. Il creuse le support, reprend la couleur, couvre d'un vernis une matière noble pour finalement empêcher le spontanéisme. Il ne faut pas oublier ses traits et dessins, à l'encre, au fusain, à l'huile sur toile libre ou sur papiers des années précédentes.

Sa pratique, traversée par l'écriture, commence depuis la fin des années soixante. Il est au coeur de l'implication, en dehors des modes et courants et de tout tapage.

Dans la solitude de l'atelier, Joël Frémiot persiste. Il assiste alors à l'effondrement de ce que son opiniâtreté a édifié et il voit se réaliser ce qu'il était en train de forger - la peinture.

Elle ne parle que de cela, parfois de quelques peintres compagnons. Joël Frémiot,humble,apporte dans son effacement plus d'ouverture à la peinture. Elle lui donne aujourd'hui sa place. La couleur apparaît d'elle - même. Elle vient rythmer les séries, apporte une sérénité. Les noirs sont intenses et vibrent.

La peinture se dégage et respire. Elle se répand maintenant comme l'huile pénètre le papier millimétré après un dépôt de blanc, auréole - lumière - vie.

Les photocopies, rephotocopiées, découpées, collées, montrent le faux. Sur les écrans aucun réel. Les images ne sont que des images. Ces petits rectangles, pastilles ou morceaux d'adhésifs vont tenter de recomposer. Tentative aussitôt reprise, griffonnée, souillée, recouverte ou arrachée comme les tentatives précédentes de composition vouées à l'échec. Aucune sacralisation, la dorure entache.

Cette insoumission de la peinture a ses sources ( littéraires, philosophiques, visuelles...) où l'histoire se représente en l'absence même du référent et fait entrer aujourd'hui Joël Frémiot dans l'actualité du peintre et dans la vitalité de l'art. C'est la peinture qui lui donne sa place. L'histoire de cette pratique empêche d'autres discours, elle ne se fond pas dans le grand spectacle, récupérateur, organisé.

JACQUES VICTOR GIRAUD